dimanche 11 octobre 2009

L'Ombre et la Demoiselle (partie 1)

Il y a une échoppe, dans le centre-ville de Dublin, à l’angle de Camden Row et de Wexford Street ; un magasin qui, selon tous les habitants du coin, avait toujours été là, et y serait sans doute encore jusqu’au Jugement Dernier. J’avoue n’avoir jamais eu le courage d’y retourner, en vérité. C’est là que tout commença ; il y a des années de cela, dix, vingt, trente ans… Et pourtant cela me semble dater d’hier, et je me souviens de tout comme au premier jour. Lui, son sourire, ses manières, et sa voix. Écouter parler cet homme est un privilège, ou une malédiction ; si longtemps après, je ne sais plus très bien. Vous le connaissez. Peut être même l’avez-vous déjà rencontré sans le savoir, qui sait.
Le Diable lui-même faisait tourner la boutique. Il doit toujours le faire, vu que l’affaire était, à ce que j’en ai vu, plus que florissante. La monnaie ? Reflet, ombre, paroles… Ces petites choses dont on croit pouvoir se passer et que l’on échange contre les objets fabuleux que le démon a amassés au fil du temps.
C’est ici, dans cette brocante du surnaturel qui fleurait la poudre de perlimpinpin que le Malin tenait la caisse et décrassait occasionnellement quelque article menacé d’enfouissement sous la poussière qui avait élu domicile sur les étagères.
Il prenait souvent l’apparence d’un homme efflanqué tout de noir vêtu, dont le regard clair et perçant ne vous quittait pas d’un pouce dés l’instant où vous aviez pénétré dans son antre. Personnellement, je lui trouvais des allures de vautour, et une furieuse ressemblance avec le croque-mort de Lucky Luke. En plus jeune, et en beaucoup plus séduisant, dès lors qu’on ne regardait pas ses yeux fous.
En de nombreuses occasions je passais par-là, et toujours lorsque je contemplais la vitrine sous son linceul de poussière et de silence, je sentais l’aiguillon de son regard m’épingler sur la façade d’en face comme un vulgaire papillon. Il avait le don de fixer les gens, comme s’il savait à l’avance tout de leur vie future, qu’il savait tout de leur passé, et qu’il riait, sans fin, de les voir se démener comme des fourmis.
Parfois je regardais ceux qui sortaient de l’endroit, heureux ou inquiets, tenant dans leurs mains un peu tremblantes un paquet enveloppé de papier de soie jaune, traînant dans leur sillage de vagues ombres ricanantes et l’odeur de soufre des pactes diaboliques.
A chaque fois, quelque chose semblait avoir changé en eux.
Trop souvent j’ai pu contempler le vide sans fond de leur regard mort, bien qu’ils me saluassent avec courtoisie. Je ne souhaite à personne de croiser le regard terrifiant d’inhumanité de ces gens-là.
Mais le plus souvent il leur manquait quelque chose d’indéfinissable ; comme s’ils avaient laissé une part d’eux-mêmes dans les méandres obscurs de la boutique, sans doute en échange de quelque babiole féerique.
Voyant tout cela, il me fallut bien plusieurs mois avant d’oser entrer, de pousser la porte de cette caverne d’Ali Baba maléfique et de franchir ce seuil de pierre noire qui semblait exsuder la malveillance.
Il fallait être très courageux ou sacrément inconscient pour entrer ici en connaissance de cause. Et inconsciente, je l’étais, surtout depuis que j’étais tenaillée de près par des créanciers voraces.
Un beau jour de mars, je pris donc mon courage à deux mains et poussai la porte vitrée, faisant au passage tintinnabuler un charmant petit mobile en forme de squelette. L’humour douteux dont le Diable fait preuve m’affligera toujours.
Dés l’instant où je franchis le seuil, ce fut comme si j’avais pénétré dans une bulle, comme un espace clôt, hors du monde, à la fois ici et là-bas, où le temps semblait interdit de séjour et où la raison même était aux abonnés absents.
Les bruits de la vie citadine, murmure ininterrompu du monde, me parvenaient encore, mais faibles et diminués, comme étouffés par une longue distance.
Au dehors, derrière la vitrine sale, je voyais encore la ville: les passants, les façades grises d’un Dublin inchangé, les voitures et tout cet univers de normalité que je venais de quitter, sauf que tout était ralenti, flou et brouillé par un effet d’optique qui n’était pas seulement dû à la saleté du verre.

Partie 2

2 commentaires:

  1. ben je me suis amusée à faire un dessin de cette histoire avec des pastels secs que j'ai retrouvé au fond d'une boîte; mais si tu voyais ... C'est la cata!!! on dirait un gamin qui a fait mumuse avec les couleurs ( mais surtout le noir). J'ai vraiment du mal avec ça!

    ton altesse (^^)

    RépondreSupprimer
  2. euh oui donc aprés avoir lu la premiére partie on comprend mieu la seconde et rien ny change j'adore comment tu écris et j'adore ce que tu écris et je veux une suite pi pe plai^^

    RépondreSupprimer

Me laisser un blabla?