jeudi 21 janvier 2010

Muppet-intermède



Aujourd'hui, l'intermède musical sera assuré par le Muppet Show
qui nous interprète sa version de l'Hymne à la Joie.

Musique Maestro.

mardi 19 janvier 2010

On s'balade



Les plus bordelais d'entre vous reconnaîtront -j'espère- quelque chose..

It's a beautiful day..



Depuis que j'ai apprit à faire des ciels au fusain en cours de dessin, je kiffe ma race.

lundi 18 janvier 2010

l'Ombre et la Demoiselle, suite et fin.

Partie 1
Partie 2
Partie 3

Un an passa.

Je vivais dans la peur constante que mon secret soit dévoilé, et bon nombre des gens du quartier nourrissaient de forts soupçons à mon égard ; parmi eux, le curé en tête, se trouvaient pêle-mêle mes voisins de palier, la concierge de l’immeuble, les grenouille de bénitier de toute la rue, l’épicier d’en face et même le vieux mendiant violoniste qui assistait à la messe sur le perron de l’église en tirant sans cesse sur sa vieille pipe de bruyère.

Mue par un étrange sentiment de culpabilité et un certain malaise, j’évitais autant que possible le voisinage des églises, chapelles, calvaires et autres représentations religieuses (ce qui, à Dublin, relève de l’exploit au vu de l’immense piété de mes compatriotes), et plus rien au monde ne pouvait me faire passer dans Wexford Street, même si cela m’obligeait à faire moult détours. Tout, mais ne surtout pas croiser le regard rigolard du Diable, qui devait en avoir mal aux côtes de nous voir perdre des morceaux de nous-mêmes en échange de ses gadgets.

Au bout de douze mois de ce régime, j’étais pour ainsi dire à bout de nerfs.

Anxieuse, amaigrie, inquiète, je passais mon temps à vérifier que l’absence de mon ombre n’était pas visible, au bord de la paranoïa.

Un jour, pourtant, je pris mon courage à deux mains et prit le chemin fatal que j’avais emprunté un an auparavant, quasiment jour pour jour. Rien n’avait changé. Comme si c’était hier, comme si rien ne s’était passé ; mais le fait était que je regrettais amèrement ma décision. J’avais enfin réalisé qu’il était plus facile de vivre sans argent que de vivre sans ombre, du moins de mon point de vue. Il y avait d’autres manières de vivre bien, et faire un pacte avec le Diable n’en faisait certainement pas partie.

Après avoir longuement hésité, je franchis de nouveau cette maudite porte. L’incongruité flagrante de ce lieu me sauta à la gorge comme un molosse affamé ; cet endroit ne devrait même pas exister, et jonglait tellement avec les probabilités que c’en devenait déroutant. Je me sentais aussi à l’aise qu’une mouche sur du chatterton.

Le Diable m’accueillit avec le même sourire éblouissant de fourberie tout en se frottant les mains.

-Vous êtes d’une régularité étonnante, miss Perrington. Que puis pour votre bonheur ?

-Je veux reprendre mon ombre, annonçai-je.

-Et que ferez-vous de votre achat ?

J’hésitai. Vraiment ? Dire adieu à ma vie confortable ? Après tout, j’allai déménager sous peu dans un endroit désert où on me laisserait tranquille. Alors pourquoi pinailler ? Toutes mes belles résolutions s’évanouissaient comme fumée au vent, soufflées par les paroles enjôleuses du démon.

-Je ne peux vous la rendre qu’en échange d’autre chose, chuchota-il. De ceci, par exemple.

Il désigna mon reflet d’un ongle à faire pâlir tout le bestiaire mythologique grec. J’échangeai un regard avec ma propre image sur la surface vitrée du comptoir.

-Et je conserverai mon achat ?

-Evidemment. C’est une faveur que je vous fait, en tant que cliente de longue date.

Je soupirai.

Au Diable Mr McCarthy et tout Dublin, je voulais récupérer mon ombre, et vivre un peu plus normalement.

-C’est d’accord, répondis-je simplement, et il me fit passer dans la même pièce où je l’avais perdue un an plus tôt.

Un frisson étrange me parcourut lorsque je vis les nombreuses traces de clous qui se voyaient sur le plancher. Le démon n’avait pas chômé entre-temps.

Il me présenta alors un petit miroir rond, fait d’un étrange verre fumé où aucun reflet ne se projetait, hormis celui de mon propre visage. Tout en murmurant d’étranges paroles, le Diable tapota l’objet du bout de l’ongle, ce qui sembla brouiller légèrement l’image qui s’y dessinait.

Aussitôt je ressentis une abominable sensation de succion et pendant un moment je ne distinguai plus qu’un vague brouillard gris qui tourbillonnait devant mes yeux. Il y eut une secousse, un pli dans le tissu du monde, une pulsation silencieuse qui déforma l’espace d’un instant la trame même de la réalité. Je me retrouvai soudain sur le trottoir humide, plantée dans une flaque d’eau et en train de contempler bêtement un mur gris et nu.

Avais-je rêvé ?

Sur le moment, je crus devenir folle : je ne pouvais concevoir que tout ce que j’avais vécu était un pur produit de mon imagination.

Alors qu’une éclaircie se faufilait entre les nuées, je pus vérifier que mon ombre était bel et bien présente au rendez-vous, mais que mon reflet n’était pas visible dans l’eau qui maculait le sol.

Je soupirai, soulagée et déçue, avec l’impression d’avoir échangé un ennui contre un autre.

A vrai dire, la culpabilité me rongeait.

J’avais passé un pacte avec le Diable, j’avais cédé à la tentation d’entrer chez lui, j’avais en poche un article dont la provenance était plus que louche, bref, je n’étais pas en odeur de sainteté. Et j’avais cédé, comme beaucoup d’autres, cédé à la tentation qui nous perd tous. Mais qui peut résister ? Il faut avoir vu son visage, entendu sa voix, il faut avoir été en son pouvoir pour comprendre ; il faudrait une volonté de fer pour le repousser, une volonté que nous, pauvres pécheurs, ne possédons pas. Qui peut se targuer de rivaliser avec Lui ?

Quoi qu’il en fût, les jours qui suivirent furent une véritable délivrance.

On cessa de murmurer sur mon passage, je ne fus plus dévisagée avec insistance, je pus à nouveau marcher librement sans me préoccuper de mon ombre, et mes relations avec mes voisins de l’immeuble s’en trouvèrent grandement améliorées, bien que les soupçons de mes plus fervents détracteurs continuassent à peser sur moi, avec raison.

Mais tout cela prit fin un beau jour de juin, alors que j’avais fait un détour sur le chemin de chez moi en longeant les quais ensoleillés de la Liffey.

Quelque chose d’étrange attira mon regard à mes pieds où mon ombre s’étendait de tout son long.

Un frisson d’horreur me parcourut sans que je sache pourquoi, mais bientôt des yeux se découpèrent dans la surface sombre qui se projetait sur le sol ; des yeux immenses, jaunes et flamboyants qui me fixaient sans ciller.

Je me maudis moi-même en me rendant compte de ma monumentale erreur qui avait mit du temps à se manifester, mais contre laquelle il était à présent trop tard pour lutter.

Un co-walker, voilà ce que le Diable m’avait rendu.

Comme tout bon irlandais pas trop ignorant, j’avais mille fois entendu parler de ces spectres étranges qui hantent les îles britanniques depuis la nuit des temps.

Si certains d’entre eux peuvent se révéler amicaux, d’autres en revanche n’ont d’autre ambition que de prendre la place des mortels qu’ils tourmentent, et c’est bien sur un de cela que j’étais tombée. Un coup vachard qui Lui ressemblait bien, après tout : non seulement il gardait mon ombre mais gagnait un reflet, et me refilait cette saleté.

Lorsque je rentrai chez moi, je croisai mon regard dans le miroir de l’entrée, ou plutôt je croisai le regard de quelqu’un d’autre qui me ressemblait. S’il avait réussi à reconstituer mon reflet, alors tout était foutu…

Le verre poli me renvoya le reflet d’une petite femme qui avait l’aspect flétri de ceux qui ont perdu beaucoup de poids en peu de temps. Une chevelure carotte en aigrette de pissenlit, des yeux verts brillant d’une lueur malsaine, la bouche figée dans un rictus effrayant, c’était mon apparence mais ce n’était pas moi.

Comme un jumeau, un revers de médaille, une face cachée.

Le co-walker m’avait inventé un reflet et une identité qui n’étaient pas les miens, et je n’ignorai pas que le lendemain je ne serais plus que l’ombre de cette silhouette, condamnée à n’être qu’un miroitement sans substance de cet être qui avait prit ma place au sein des mortels.

Pourtant, dans un sursaut de foi ou un réflexe de survie, je me saisis d’un crucifix en plastique technicolor et le brandis vers le tapis de l’entrée où se dessinait toujours l’ombre aux yeux flamboyants.

C’est avec un soulagement évident que je vis la créature décamper sous la porte comme un cloporte en déroute, emportant avec lui mon image qui tirait la langue en grimaçant affreusement.

Je n’avais plus ni ombre ni reflet, mais les sous du Juif Errant étaient toujours dans ma poche et j’avais sauvé ma peau in extremis grâce à une croix en plastique pour le moins hideuse. C’était une fin à laquelle je ne m’attendais pas, et à laquelle personne, en vérité, ne se serait préparé. Qui aurait cru qu’un Jésus pastel en culotte bleuâtre sur pvc imitation bois aurait pu un jour trouver une utilité, à part cacher une tache de la tapisserie ?

Trois semaines plus tard, je l’accrochai triomphalement dans l’entrée de ma nouvelle maison, une petite maison isolée quelque part dans les quelques kilomètres carrés de l’île d’Inish Moor, à l’ouest du pays.

Je l’avais achetée pour une bouchée de pain à un couple d’australiens qui visiblement, s’étaient fait une toute autre idée de «l’irish way of life » et plus particulièrement de la fréquence des précipitations.

Malgré les kilos de culpabilité que m’occasionnait ma mésaventure, je ne regrettai plus le prix que j’avais payé pour ma tranquillité. Et à vrai dire, je ne le regrette toujours pas, maintenant que j’ai un pied dans la tombe et que tout cela est bien loin derrière moi. Peut être aurai-je pu m’en tirer autrement… Peut être. Si je n’avais pas poussé la porte, continué mon chemin, continué à passer devant cet endroit sans m’y arrêter… Mais le Diable sait y faire, pour attirer le chaland. Son influence avait peut être prit le temps qu’il fallait pour m’atteindre, mais il y est parvenu ; c’était une solution efficace, à défaut d’être rapide. L’attrait que l’on a pour toutes ces choses étranges est sans limites, bien que cela ne soit pas toujours conscient ; à croire qu’il a suivi des cours de marketing…


Si quelqu’un doit lire ces lignes un jour, je lui dirai simplement ceci : ne vous rendez pas à cet endroit, à l’angle de Camden Row et de Wexford Street ; il n’y a rien à voir. Par contre, je me suis laissée dire que le parc, tout près, était très joli. Et tout à fait dépourvu de démon.


Maureen repose son stylo et baille longuement en s’étirant. Depuis le début de la soirée, le grattement de la mine sur le papier avait empli le petit espace du salon, à la lumière douce d’une lampe solitaire. Dehors, la pluie d’octobre balaye les vitres étroites, et la campagne est noyée dans les ténèbres.

La vieille femme rassemble les feuillets éparpillés sur son bureau en un paquet qu’elle s’apprête à ranger dans un tiroir déjà encombré, quand soudain la sonnette résonne depuis l’extérieur.

Sans se presser, elle claudique jusqu’à la porte en se drapant dans son châle immense.

Un flot d’air glacé s’engouffre dans la maison lorsqu’elle ouvre à l’étranger qui s’avance jusqu’à la limite du cercle de lumière.

-Vous avez mit tout ce temps pour me retrouver ? Demande Maureen, un sourire étirant son visage fatigué.

-Bien sûr que non, ricane l’homme qui lui fait face. Mais ma collègue est en retard, aussi elle m’a demandé de lui servir d’émissaire. De plus, j’ai quelque chose à récupérer, comprenez, je dois faire marcher mon commerce…

Il ricane d’une voix pointue, les yeux rivés sur elle.

-Je vois.

La résignation est presque palpable dans la voix de la vieille femme. Elle se dirige à petits pas vers un des meubles du salon, d’où elle exhume un porte-monnaie hors d’âge qui contient cinq pièces. Elle les tient un moment dans ses mains ridées, les soupèse, les fait tinter une dernière fois avec un brin de nostalgie.

De l’entrée lui parvient la rumeur d’une conversation à voix feutrée.

Maureen soupire, et jette une dernière fois un regard sur le salon encombré de livres et d’objets de toutes sortes. L’Au-delà peut attendre encore un moment. Elle gratte une dernière fois la tête de son vieux chat qui dort près de la cheminée, arrange négligemment quelques fleurs dans un vase, sourit à un Jésus en plastique décoloré accroché au mur. Tout est rangé, dans la petite maison aux murs épais. Elle sait qu’elle doit partir. Elle l’a senti depuis longtemps, en fait ; et pour cela, elle a écrit son histoire, qui repose dans un tiroir de son secrétaire patiné par les ans. Laisser une trace. Une empreinte, dans ce monde, quelques pages pour raconter ce qui s’est passé. Elle ignore quand on s’apercevra qu’elle est morte ; ça la fait rire, mais ça l’attriste aussi. Il n’y aura personne pour marcher derrière son cercueil, si tant est qu’elle y ait droit.

A pas lents, elle boitille jusqu’à la porte, les pièces d’or bien serrées entre ses vieux doigts ;le Diable les empoche avec un sourire satisfait, et sitôt qu’elles touchent la paume de sa main, elles redeviennent aussi lisses et brillantes qu’au premier jour.

Il salue Maureen une dernière fois, riant, goguenard, avant de disparaître dans un nuage jaune et laissant derrière lui une forte odeur de soufre.

La Mort relève un peu sa capuche et contemple un moment la petite femme replète qui se tient devant elle, sans ombre, sans reflet. Son crâne reste sans expression, mais on devine un sourire dans ses yeux, un sourire auquel répond la vieille femme, avec douceur et résignation.

-VOUS ÊTES PRÊTE ?

Chacun de ses mots résonne comme un glas. Le seul que l’on sonnera jamais pour elle, à vrai dire.

-Je suppose que je n’ai pas le choix, dit-elle d’un ton posé.

-EFFECTIVEMENT.

Il n’y a pas d’éclair, pas de faux tranchant les ombres ; rien qu’un souffle léger, l’écho d’un murmure, qui résonne dans la pièce. Et Maureen Perrington s’effondre sur elle-même, son petit corps perclus de rhumatismes tombant sur le tapis avec un bruit mat. Le chat, réveillé par le bruit, s’approche d’elle et se frotte contre sa joue inerte, ronronne, avant de commencer à jouer avec ses cheveux blancs qui se répandent sur le sol en arabesques flétries.

La Mort lui sourit, lui gratte la tête, avant de faire volte-face. Une silhouette humaine aux yeux jaunes est tapie dans un coin d’ombre, et s’agite, déçue.

-TU NE CROYAIS PAS QUE J’ALLAIS TE LA LAISSER… VA DONC REJOINDRE TON MAITRE ET DEMANDE-LUI UNE AUTRE PROIE.

Le co-walker montre les dents mais décampe aussitôt dans les ténèbres. La porte se referme derrière la haute silhouette sépulcrale qui porte un chat dans les bras. Et le silence retombe comme un linceul.