vendredi 27 novembre 2009

L'Ombre et la Demoiselle, partie 3

Partie 1
Partie 2

Par miracle, j’arrivai pile à l’heure à la librairie. Mr McCarthy, mon patron, se tenait sur le seuil, montre en main, visiblement certain de mon retard et prêt à me le reprocher.Il eut un sourire derrière sa moustache en me voyant sauter du bus avec un air triomphant, mais ce sourire mourut bien vite et il se rembrunit avant de s’engouffrer dans la boutique.
Je m’aperçus alors que l’absence de mon ombre était clairement visible, et que mon estimé patron était loin d’être aveugle…Furieuse contre moi-même, rentrai à sa suite, la tête basse, me maudissant moi-même de mon imprudence. Je redoutais la réaction de Mr McCarthy, qui serait sans aucun doute orageuse, car comme beaucoup d’irlandais de sa génération, il était très pieux et savait pertinemment ce que l’absence d’une ombre signifiait. Je m’assis tristement derrière le comptoir, songeant que ce serait peut être la dernière fois que j’occuperais cette place.
Il vint se planter devant moi, ses grandes mains posées à plat sur le bois ciré, la moustache vibrante d’indignation et les sourcils tellement hérissés qu’ils rejoignaient presque la racine des cheveux.Mr McCarthy en colère était terrifiant, et je pense qu’il le serait toujours s’il n’était pas en train de ronger le houblon par la racine.
-Mettons les choses au clair, Miss. Etes-vous allée à cette fichue boutique? Gronda-t-il dans des infrasons assez peu accessible au commun des mortels.
Je hochai la tête.Il n’avait pas eu besoin de nommer l’endroit pour que je devine.
-Vous êtes une bonne employée, et je dois avouer que je suis extrêmement déçu de votre attitude. Je devrais vous virer sur l’instant ! Bon sang on n’a pas idée… Vous écoutiez pas ce que disait le curé à l’Eglise ? Vous croyez p’être que c’est de la roupie de sansonnet ce qu’on lit dans la Sainte Bible et ce qu’on vous enseigne ?
J’attendis la suite avec beaucoup d’appréhension, tandis qu’il reprenait sa respiration.
-Ceci étant dit, si vous me promettez de ne jamais y remette les pieds de toute votre existence, je veux bien vous garder. On n’est plus au Moyen Age et je vous livrerai pas au bûcher, après tout c’est votre vie…
Il s’éloigna en marmonnant dans sa moustache, et je poussai un long soupir de soulagement avant de m’affaisser légèrement sur ma chaise.
Le restant de la matinée se déroula sans autre allusion à l’incident, et tout sembla redevenir comme avant.Cependant, à la pause du déjeuner, alors que j’étais en route vers le pub, je sentis que l’on me dévisageait avec insistance.Je saisis des murmures sur mon passage, des murmures d’étonnement ou de malédiction.Dans la rue largement baignée de soleil, je ne passais pas inaperçue ; mais fort heureusement cela ne durerait pas car dans un pays aussi humide que l’Irlande, il était techniquement impossible d’avoir plus de dix minutes de beau temps. Mais le trajet était long, et la lumière ne baissa pas tandis que je la maudissais de toutes mes forces.
Je vis même, à ma grande consternation, des mères de famille et leurs enfants me montrer du doigt et changer de trottoir.
Ce fut soulagée, mais extrêmement mal à l’aise que je pénétrai enfin dans la pénombre bruyante du pub, et je vis au dehors le ciel se couvrir de lourds nuages tandis que l’intérieur s’assombrissait encore. Ici, pas de risque que l’on remarque ma petite entorse au règlement.
Je commandai donc à déjeuner et sur les coups de treize heures, je me risquai dehors pour regagner la librairie. Dieu merci, le temps était toujours couvert mais je redoutais l’éclaircie, et l’angoisse d’un rayon de soleil soudain ne me quittait pas. Il pleuvait à seaux, mais au moins personne ne me prenait plus pour l’Antéchrist ou je ne sais quoi. Et les pièces tintaient agréablement au fond de ma poche, leur nombre toujours inchangé.
Au moment même où j’avais payé mon repas, leur surface auparavant d’or luisant était devenue celle d’un euro tout à fait banal, tandis que deux autres sous miraculeux étaient venus tinter dans ma poche. L’allégresse de la fortune se disputait à la crainte de l’éclaircie, et ce furent mes rêves de grandeur qui l’emportèrent pendant le restant du chemin.Je voyais enfin la fin de mes soucis financiers. Bien sûr, payer mes impôts et régler mes dettes en pièces de 1 ou 2 euros était impensable, et je ne me voyais pas sortir de ma poche des monceaux pièces d’or, j’avais déjà assez d’ennuis comme ça. Ce ne serait pas la grande vie, mais j’échappai enfin au spectre blafard de la pauvreté et échafaudai déjà des projets pour acquérir une boutique à Cork ou dans mon Donegal natal…
Quitter Dublin et ses gaz d’échappement, la librairie McCarthy et sa poussière, l’immeuble délabré et ses voisins bruyants pour le Connemara ou la côte Ouest, ses falaises et ses moutons… Ces rêves me font aujourd’hui sourire, mais d’un sourire bien amer. Parfois je me dis que tout cela est bien cher payé. Mais le Malin mérite bien son nom, et qui traite avec lui court toujours le risque de se faire rouler, à moins d’être plus intelligent que lui, ce qui est loin d’être le cas de tout le monde.
A croire que c’est toujours dans les histoires que ça finit bien…

lundi 23 novembre 2009

Seo sláinte na gcarad atá imithe uainn Mar cheo an tsléibhe uaine, iad imithe go deo

Il y a des musiques qui marquent, qui remuent le corps et l'âme, qui s'impriment au plus profond de vous et vous obsèdent.
Des histoires qui vous emportent, loin, très loin de votre existence insignifiante.
Des choses passionnantes à vivre par procuration.

Et rien que pour ça, Dieu bénisse l'Amérique, même si ça m'fait mal de le dire.
Pour le plaisir de vos oreilles, un morceau de la BO de Battlestar Galactica; profitez-en bien, moi je file en cours.



dimanche 1 novembre 2009

L'Ombre et la Demoiselle, part 2

Partie 1

Ce fut le Diable qui vint à moi alors que j’examinai un assortiment de chaussures de toutes époques et de toutes sortes (des cothurnes ailés au soulier de bal en fourrure en passant par les bottes de cuir).
Il se tenait devant moi, légèrement courbé, un sourire des plus déplaisants sur les lèvres.
Je n’oublierai jamais son allure ; son visage d’une blancheur de neige semblait flotter au milieu des océans noirs de ses cheveux et de ses vêtements, comme un masque pointu et pâle au milieu des ténèbres. Son regard était gris, d’un argent clair et presque transparent, brillant d’intelligence, scintillant de duplicité et profond comme un puit sans fin où s’agitaient de vagues ombres menaçantes. Il me fixait sans ciller, comme s’il était dépourvu de paupières, dévoilant sans fin l’abîme insondable de la pupille enténébrée.
Je frissonnais malgré moi, prise d’une terreur irraisonnée.
La peur, traîtresse et instinctive, semblait rôder dans les ténèbres de l’endroit, attendant le moment propice pour me fondre dessus.
La première impression qu’il me donna fut que chez cet homme, tout était pointu : les dents, le visage, le bouc tracé par une rège d’architecte, les oreilles, son regard comme une aiguille portée au rouge, et même le bout de ses bottes vernies. Il était beau, oui, c’était indéniable. Une allure de chat, en vérité, tout en souplesse et en puissance à peine suggérée, comme une lame au fourreau ; il avait aussi du chat la vigilance perpétuelle, comme s’il était toujours sur le point de bondir sur sa proie.
Son exquise courtoisie très british n’enlevait rien au fait qu’il avait l’air d’un prédateur à l’affût.
-Et bien Miss ; je suis heureux que vous ayez enfin daigné honorer ces lieux de votre présence !
Je répondis par un simple signe de tête un peu confus et me réfugiai derrière une pile instable de gros grimoires qui, comme la quasi-totalité des articles, étaient sablés de poussière.
Je fis semblant de m’absorber dans la lecture des étiquettes, mais le Diable revint à la charge avec un large sourire, me fixant d’un regard indéchiffrable comme s’il riait pour lui même d’une farce inaccessible aux mortels, bien qu’à la réflexion, le rire semblât une chose trop humaine pour lui. Sa voix se fit caressante, onctueuse comme un robinet de caramel.
-Je suis certain que j’ai ce qu’il faut pour vous satisfaire, miss ; j’ai un véritable don pour deviner les attentes de mes clients, à ce jeu-là je suis diaboliquement habile.
Cette fois, il éclata d’un rire pointu, tandis que je le considérai d’un air vaguement consterné. Non, ce n’était pas le rire qui lui était étranger, il trouvait manifestement sa petite blague très drôle. En fait, ce qui lui manquait, c’était le sens de l’humour qui allait avec.
-Et qu’est-ce qu’il me faut ? Demandai-je en sentant la panique me monter jusqu’aux yeux.
-Vous avez cruellement besoin d’argent, pour le moment, ronronna-il d’une voix de caisson de basse.
Il me mena dans un coin de la boutique où se trouvait une armoire vitrée épargnée par miracle des assauts de la saleté.
-Voici les cinq sous du Juif Errant, qu’il m’a offert en mains propres –façon de parler- en échange de la fin de sa punition.
-Et ? Répondis-je en levant un sourcil perplexe.
-Ils se renouvellent à mesure que vous les dépensez.
Une brève vision de la fortune me souriant de toutes ses dents traversa ma tête à toutes jambes.
Les sous étaient déposés dans un carré de soie noire, et voisinaient avec un chapeau et une paire de sandales dont la décrépitude accentuait encore la richesse de cette petite somme.
C’était certainement de l’or, lisse et brillant dans la pénombre murmurante de l’endroit, agité de mille reflets chatoyants, comme s’il émettait sa propre lueur.
-Alors ? Vous laissez-vous tenter ?
La voix du Diable retentit dans un murmure de glace tout prés de mon oreille, et je me sentis alors comme Eve au pied d’un pommier.
Dissimulant mon embarras, je jetai un œil à ma montre : neuf heures vingt-cinq.
Je devais être à mon travail dans très exactement sept minutes, ce qui, compte tenu de la distance et de la circulation, était quasiment irréalisable.
Mais quitte à être en retard, autant être riche….
D’un côté, arriver à l’heure à la librairie et rester pure de tout commerce avec le Diable ; de l’autre, la Fortune qui revint à la charge en ricanant de plus belle.
-Alors ? Répéta-il très doucement, cet affreux rictus mielleux accroché au visage.
-Je les prends, déclarai-je avec une certaine brusquerie, tant pour faire taire ma conscience que pour qu’il me lâche la grappe.
Le sourire du démon s’élargit jusqu’à fendre sa face jusqu’aux oreilles et faisant étinceler ses dents acérées d’une bien désagréable façon. Un peu plus et il perdait la moitié de sa tête.
Il sortit un petit trousseau de clefs des replis innombrables de son vêtement, puis ouvrit l’armoire et attrapa délicatement les pièces, dont le miroitement cessa presque aussitôt.
Je le suivis jusqu’au comptoir, fébrile et impatiente, et, tandis qu’un petit démon ailé emballait avec soin mon achat dans du papier de soie, je tambourinai nerveusement sur le comptoir ciré en lançant des regards assassin à l’horloge.
-Je vous prie de me suivre, dit enfin le Diable en sortant d’une pièce latérale. Nous allons procéder au paiement. Pour ce petit achat, je ne vous demanderai que… Votre ombre. Vous conviendrez que c’est un prix tout à fait raisonnable pour une telle richesse.
Poursuivant son babillage, il me mena à une petite salle au sol blanchi à la chaux garni de signes cabalistiques et d’un grand pentacle rougeoyant, et alla allumer une petite lampe dans un coin.
Le Diable saisit une masse et un clou de tapissier, puis d’un coup formidable qui fit vaciller la flamme de la lampe, il le planta dans la tête de mon ombre.
Je vacillai légèrement sous la force du choc, et il me sembla que cette dernière restait immobile.
Il me pria alors d’avancer doucement, et je fus stupéfaite de voir ma silhouette rester au sol dans la position où je l’avais laissée, comme un voile sombre jeté par terre.
Le Diable la ramassa prestement et l’enroula sur elle-même avant de la suspendre avec soin sur un porte-manteau ouvragé.
Nous revînmes dans la boutique où le diablotin me tendit mon paquet avant de suivre son maître dans la pièce qui se trouvait derrière le comptoir et où je pus apercevoir des collections d’ombres suspendues, comme la mienne, à des rangées de porte-manteaux. Dans un coin, une imposante collection de sphères irisées s’entortillait autour d’une série d’épingles à chapeau. Déroutant, de contempler une collection d’âmes et autres choses du même tonneau.
Voyant que l’heure s’avançait dangereusement, je sortis en courant, trop heureuse de partir, et sautai dans le premier autocar qui passa par là.

Partie 3

And she's buying a stairway to heaven...


Je ressens quelque chose lorsque je regarde vers l'ouest
Et mon esprit cherche désespérément à s'évader.
Dans mes songes j'ai vu des volutes de fumée à travers les arbres,
Et les voix de ceux qui regardent sans rien faire.

(c'est pas moi qui l'ai dit, c'est Robert Plant.)

Et vous savez quoi?


Ich bin ein photograff.

Si, si.

Ne nous emballons pas, c'est juste un géranium, sur le rebord de ma fenêtre, un jour de pluie.
Pour le reste, merci Photoshop.