dimanche 1 novembre 2009

L'Ombre et la Demoiselle, part 2

Partie 1

Ce fut le Diable qui vint à moi alors que j’examinai un assortiment de chaussures de toutes époques et de toutes sortes (des cothurnes ailés au soulier de bal en fourrure en passant par les bottes de cuir).
Il se tenait devant moi, légèrement courbé, un sourire des plus déplaisants sur les lèvres.
Je n’oublierai jamais son allure ; son visage d’une blancheur de neige semblait flotter au milieu des océans noirs de ses cheveux et de ses vêtements, comme un masque pointu et pâle au milieu des ténèbres. Son regard était gris, d’un argent clair et presque transparent, brillant d’intelligence, scintillant de duplicité et profond comme un puit sans fin où s’agitaient de vagues ombres menaçantes. Il me fixait sans ciller, comme s’il était dépourvu de paupières, dévoilant sans fin l’abîme insondable de la pupille enténébrée.
Je frissonnais malgré moi, prise d’une terreur irraisonnée.
La peur, traîtresse et instinctive, semblait rôder dans les ténèbres de l’endroit, attendant le moment propice pour me fondre dessus.
La première impression qu’il me donna fut que chez cet homme, tout était pointu : les dents, le visage, le bouc tracé par une rège d’architecte, les oreilles, son regard comme une aiguille portée au rouge, et même le bout de ses bottes vernies. Il était beau, oui, c’était indéniable. Une allure de chat, en vérité, tout en souplesse et en puissance à peine suggérée, comme une lame au fourreau ; il avait aussi du chat la vigilance perpétuelle, comme s’il était toujours sur le point de bondir sur sa proie.
Son exquise courtoisie très british n’enlevait rien au fait qu’il avait l’air d’un prédateur à l’affût.
-Et bien Miss ; je suis heureux que vous ayez enfin daigné honorer ces lieux de votre présence !
Je répondis par un simple signe de tête un peu confus et me réfugiai derrière une pile instable de gros grimoires qui, comme la quasi-totalité des articles, étaient sablés de poussière.
Je fis semblant de m’absorber dans la lecture des étiquettes, mais le Diable revint à la charge avec un large sourire, me fixant d’un regard indéchiffrable comme s’il riait pour lui même d’une farce inaccessible aux mortels, bien qu’à la réflexion, le rire semblât une chose trop humaine pour lui. Sa voix se fit caressante, onctueuse comme un robinet de caramel.
-Je suis certain que j’ai ce qu’il faut pour vous satisfaire, miss ; j’ai un véritable don pour deviner les attentes de mes clients, à ce jeu-là je suis diaboliquement habile.
Cette fois, il éclata d’un rire pointu, tandis que je le considérai d’un air vaguement consterné. Non, ce n’était pas le rire qui lui était étranger, il trouvait manifestement sa petite blague très drôle. En fait, ce qui lui manquait, c’était le sens de l’humour qui allait avec.
-Et qu’est-ce qu’il me faut ? Demandai-je en sentant la panique me monter jusqu’aux yeux.
-Vous avez cruellement besoin d’argent, pour le moment, ronronna-il d’une voix de caisson de basse.
Il me mena dans un coin de la boutique où se trouvait une armoire vitrée épargnée par miracle des assauts de la saleté.
-Voici les cinq sous du Juif Errant, qu’il m’a offert en mains propres –façon de parler- en échange de la fin de sa punition.
-Et ? Répondis-je en levant un sourcil perplexe.
-Ils se renouvellent à mesure que vous les dépensez.
Une brève vision de la fortune me souriant de toutes ses dents traversa ma tête à toutes jambes.
Les sous étaient déposés dans un carré de soie noire, et voisinaient avec un chapeau et une paire de sandales dont la décrépitude accentuait encore la richesse de cette petite somme.
C’était certainement de l’or, lisse et brillant dans la pénombre murmurante de l’endroit, agité de mille reflets chatoyants, comme s’il émettait sa propre lueur.
-Alors ? Vous laissez-vous tenter ?
La voix du Diable retentit dans un murmure de glace tout prés de mon oreille, et je me sentis alors comme Eve au pied d’un pommier.
Dissimulant mon embarras, je jetai un œil à ma montre : neuf heures vingt-cinq.
Je devais être à mon travail dans très exactement sept minutes, ce qui, compte tenu de la distance et de la circulation, était quasiment irréalisable.
Mais quitte à être en retard, autant être riche….
D’un côté, arriver à l’heure à la librairie et rester pure de tout commerce avec le Diable ; de l’autre, la Fortune qui revint à la charge en ricanant de plus belle.
-Alors ? Répéta-il très doucement, cet affreux rictus mielleux accroché au visage.
-Je les prends, déclarai-je avec une certaine brusquerie, tant pour faire taire ma conscience que pour qu’il me lâche la grappe.
Le sourire du démon s’élargit jusqu’à fendre sa face jusqu’aux oreilles et faisant étinceler ses dents acérées d’une bien désagréable façon. Un peu plus et il perdait la moitié de sa tête.
Il sortit un petit trousseau de clefs des replis innombrables de son vêtement, puis ouvrit l’armoire et attrapa délicatement les pièces, dont le miroitement cessa presque aussitôt.
Je le suivis jusqu’au comptoir, fébrile et impatiente, et, tandis qu’un petit démon ailé emballait avec soin mon achat dans du papier de soie, je tambourinai nerveusement sur le comptoir ciré en lançant des regards assassin à l’horloge.
-Je vous prie de me suivre, dit enfin le Diable en sortant d’une pièce latérale. Nous allons procéder au paiement. Pour ce petit achat, je ne vous demanderai que… Votre ombre. Vous conviendrez que c’est un prix tout à fait raisonnable pour une telle richesse.
Poursuivant son babillage, il me mena à une petite salle au sol blanchi à la chaux garni de signes cabalistiques et d’un grand pentacle rougeoyant, et alla allumer une petite lampe dans un coin.
Le Diable saisit une masse et un clou de tapissier, puis d’un coup formidable qui fit vaciller la flamme de la lampe, il le planta dans la tête de mon ombre.
Je vacillai légèrement sous la force du choc, et il me sembla que cette dernière restait immobile.
Il me pria alors d’avancer doucement, et je fus stupéfaite de voir ma silhouette rester au sol dans la position où je l’avais laissée, comme un voile sombre jeté par terre.
Le Diable la ramassa prestement et l’enroula sur elle-même avant de la suspendre avec soin sur un porte-manteau ouvragé.
Nous revînmes dans la boutique où le diablotin me tendit mon paquet avant de suivre son maître dans la pièce qui se trouvait derrière le comptoir et où je pus apercevoir des collections d’ombres suspendues, comme la mienne, à des rangées de porte-manteaux. Dans un coin, une imposante collection de sphères irisées s’entortillait autour d’une série d’épingles à chapeau. Déroutant, de contempler une collection d’âmes et autres choses du même tonneau.
Voyant que l’heure s’avançait dangereusement, je sortis en courant, trop heureuse de partir, et sautai dans le premier autocar qui passa par là.

Partie 3

1 commentaire:

  1. euh oui NIouk NIouk j'aime bien comment tu écris tes textes et rassures toi tu as rien à m'envier....

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